Sols : « Dans le mot « terroir », il y a le mot « terre » »

Le biologiste Marc-André Selosse évoque la situation des sols en viticulture et les conséquences négatives des pesticides sur la vie des sols.


Un entretien avec le biologiste Marc-André Selosse

Professeur au Museum national d’histoire naturelle, le biologiste Marc-André Selosse est reconnu pour ses travaux sur les mycorhizes, c’est-à-dire les interactions entre les racines des plantes et les champignons présents dans les sols.

Membre de l’Institut universitaire de France et de l’Académie d’agriculture de France, ce chercheur est aussi un vulgarisateur engagé, auteur de nombreux ouvrages de sensibilisation aux enjeux de la biodiversité.

Dans L’Origine du monde : une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, il plaide ainsi pour une meilleure compréhension du rôle des sols, ces écosystèmes invisibles mais essentiels à la vie sur Terre.

Essentiels aussi pour la viticulture, comme l’explique celui qui est également un grand amateur de vin, une passion qu’il cultive notamment au sein de l’Association des Rencontres des Cépages modestes dont il est le vice-président.


Quel rôle joue le sol dans l’élaboration d’un vin ?

Dans le mot « terroir », il y a le mot « terre » ! Le sol, c’est ce dans quoi pousse la vigne. Et le sol est un facteur crucial de ce qui fait la typicité d’un vin. En effet, les arômes qu’on appelle primaires sont issus des composés présents dans le raisin : or, ceux-ci sont fabriqués en réponse aux caractéristiques d’un milieu, c’est-à-dire les stress induits par le climat et le sol. La qualité d’un vin dépend de la nature d’un sol, mais aussi des micro-organismes rencontrés dans celui-ci : il faut les préserver, c’est essentiel.

Dans quel état sont aujourd’hui les sols viticoles ?

Selon l’Atlas français des bactéries du sol, coordonné par des spécialistes de l’écologie microbienne, plus on intervient dans les sols agricoles, plus il y a une perte de vie microbienne. C’est vrai pour toutes les cultures et particulièrement pour la viticulture qui est une culture assez interventionniste. La vigne compte ainsi parmi les sols les plus endommagés. En quelques décennies, les populations d’êtres vivants se sont effondrées et leur diversité génétique s’est considérablement amenuisée. Toutefois, la diversité des espèces est toujours présente, ce qui signifie qu’il est encore possible de restaurer la vie des sols viticoles.

Pourquoi les sols viticoles sont si appauvris ?

Deux causes principales. D’une part, le labour de l’inter-rang, même s’il tend à disparaître, car il déchire non seulement les racines mais aussi les filaments des champignons, et expose les animaux du sol à la sécheresse et aux prédateurs ; de plus, il forme une « semelle de labour » qui empêche l’eau de s’infiltrer en profondeur.  D’autre part, les pesticides de synthèse, dont la vigne est très gourmande : en France, elle représente 3 % des surfaces cultivées mais près de 20 % de la consommation d’intrants chimiques. Or, les pesticides de synthèse, interdits en agriculture biologique, causent beaucoup de dégâts : par exemple, des champignons essentiels pour l’approvisionnement des racines en minéraux et en eau, mais aussi leur protection, sont intoxiqués par le glyphosate et ne peuvent plus aider la vigne.

Peut-on restaurer les sols viticoles ?

Oui. Aujourd’hui, des solutions contournent tant le labour que l’utilisation des pesticides de synthèse. L’agriculture biologique, qui interdit le recours aux intrants chimiques, est l’une de ces solutions. Les nouveaux cépages résistants aux maladies en sont une autre en réduisant les passages donc le tassement du sol. Des enherbements permanents peuvent empêcher l’installation d’herbes indésirables, limiter l’érosion, repousser des pathogènes du sol (comme les nématodes) et renforcer la biodiversité. Notamment, ils entretiennent en hiver les champignons essentiels pour les racines citées plus haut ! Les dégâts environnementaux causés par la viticulture sont parmi les plus réversibles. Collectivement, nous devons tous aider la filière à évoluer, y compris par nos choix de consommation.

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