« Les vins issus d’une agriculture biologique sont plus intéressants que les autres » 

Un entretien avec Gaby Benicio 

Gaby Benicio est une sommelière italo-brésilienne, reconnue pour son engagement en faveur d’une gastronomie plus juste et plus durable. En 2023, elle a été lauréate du Prix Michelin de la sommellerie. Une récompense obtenue pour le travail réalisé au sein du restaurant Äponem, situé dans le Haut-Languedoc. 

Comment les vins d’Äponem sont-ils sélectionnés ? 

– J’ai deux critères : il faut que ce soit des vins de vigneron et qu’ils soient produits en agriculture biologique ou biodynamique, élaborés de préférence avec des levures indigènes. La cave est constituée d’un peu plus de 1 400 références. Elle est à l’image du restaurant : c’est une cave engagée. Par exemple, il n’y a que des vins issus de vignobles en Europe ; il en existe pourtant des sublimes qui sont produits sur d’autres continents mais les faire venir aurait un coût environnemental qui ne correspond pas avec nos valeurs. Le bio tient aussi de l’évidence : le vin est quelque chose qui entre dans nos corps, je ne m’imagine pas servir à nos clients des vins issus de la chimie de synthèse. Cela vaut pour le vin, mais cela vaut aussi pour tout ce que nous servons au restaurant.

Le choix du bio, c’est donc d’abord une question de conviction ? 

– Oui, mais pas seulement. C’est une question de conviction bien sûr, mais c’est aussi parce que les vins issus d’une agriculture biologique sont plus intéressants que les autres. Je suis personnellement très attachée à la notion de terroir. Or, l’agriculture conventionnelle tend à effacer le terroir ; à l’inverse, l’agriculture biologique ou biodynamique préserve la vie, le terroir peut donc s’exprimer. Mes plus grandes émotions de dégustation, je les ai toutes eues avec des vins vivants, élaborés sans chimie de synthèse. Avec nos potagers, nous sommes nous-mêmes des agriculteurs, je suis donc consciente de ce qu’implique une agriculture sans chimie de synthèse : c’est plus de difficultés et de sacrifices de de toutes sortes, il faut apprendre, devenir patient… Le rapport avec le vivant change aussi : on devient plus observateur, et ce regard n’a fait que renforcer mon engagement.

En tant que sommelière, vous considérez que vous avez aussi une responsabilité sociale ? 

– Bien sûr car nous ne sommes pas là que pour servir le vin, nous avons aussi une mission d’ordre pédagogique ou d’éducation. Parfois, certains clients ont une vision caricaturale des vins bio, souvent c’est la conséquence d’une première expérience qui a pu les décevoir : peut-être le vin avait un défaut ou qu’il a été mal servi. Pour ma part, je ne pars jamais de l’étiquette et je fais toujours déguster à l’aveugle en m’assurant que les vins sont sans défaut et servis correctement, c’est-à-dire à la bonne température et dans des verres à vin qui les honorent. Au client ensuite d’apprécier ou non le vin, sans préjugé. C’est ainsi que je convertis, à ma petite échelle, de nouveaux consommateurs. 

Ensuite, pas de retour en arrière possible ? 

– Pour ma part, non. Même les vins issus de l’agriculture conventionnelle qui sont reconnus comme de grands vins me laissent indifférentes. Je les trouve souvent fermés, « bloqués » comme on dit dans le langage de la sommellerie. Il faut attendre de longues années pour qu’une émotion apparaisse. Mais c’est vrai aussi pour nos clients, beaucoup viennent d’ailleurs chez nous parce qu’ils soutiennent nos engagements. En plus, autant il était difficile de trouver des vins bio il y a vingt ans en arrière, autant c’est devenu facile aujourd’hui. Et puis, les vins bio s’accordent avec la cuisine que nous proposons car celle-ci est une cuisine spontanée, vivante, qui cherche le terroir dans tout. Il lui faut donc des vins qui entrent en résonance, qui vibrent. Ce qu’on cherche, ce sont des moments d’accroche avec le vivant, et seuls les vins sans chimie de synthèse peuvent nous les donner. 

Ouvert en 2018, le restaurant Äponem est installé dans un ancien presbytère du dix-septième siècle, situé dans le petit village de Vailhan (161 habitants) dans un paysage de vignes, de bois et de lacs.

L’équipe du restaurant revendique une version engagée de la gastronomie. Les légumes sont fournis par les sept potagers du restaurant, les herbes sont issues de la cueillette sauvage, les viandes et les poissons sourcés en circuit court, les vins bio ou en biodynamie. Pas de hiérarchie, l’organisation est horizontale et tout le personnel, qui mêle les nationalités, dispose du même niveau de salaire.

Le restaurant a obtenu le prix de la meilleure table de l’année par le Fooding en 2019 puis distinguée par une première étoile par le Guide Michelin et même par une étoile verte. À titre personnel, Gaby Benicio, qui était arrivée en France pour étudier l’histoire et la littérature à Paris, s’est vue remettre le Prix Michelin de la sommellerie en 2023.

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