Un entretien avec Jean-Marie Cardebat
Économiste et professeur à l’Université de Bordeaux et à l’Inseec, Jean-Marie Cardebat étudie notamment les débouchés du vin bio, liées aux dynamiques du marché viticole et aux tendances de consommation. Éclairage.
Dans vos recherches, vous avez mis en évidence le caractère cyclique du marché du vin. Où en sommes-nous actuellement ?
– Nous sommes en creux de cycle ! Cela peut sembler inquiétant, mais la bonne nouvelle, c’est qu’un rebond est attendu d’ici à 2026. La sortie progressive du contexte inflationniste jouera un rôle clé dans cette reprise, car l’inflation a eu un impact négatif sur le marché du vin. En tant que produit non essentiel, le vin est souvent l’un des premiers postes de dépenses à être réduit au profit de dépenses prioritaires comme l’énergie, le logement ou la mobilité. Par ailleurs, la crise du Covid appartient désormais au passé et plusieurs pays comme les États-Unis, l’Espagne et l’Italie connaissent une reprise économique encourageante.
Le vin bio joue-t-il un rôle moteur dans cette dynamique ?
– Oui, le bio a été un moteur de croissance pendant près de quinze ans, avec une progression des ventes supérieure à celle du marché global. L’inflation a certes ralenti cette tendance, mais une chose me semble évidente, hors statistiques : lorsqu’un consommateur doit choisir entre un vin conventionnel et un vin bio à prix égal, il opte plus volontiers pour le bio. Cela signifie que le vin bio reste un élément déclencheur dans la décision d’achat.
Peut-on parler d’un phénomène durable ?
– Absolument, le bio s’inscrit dans une tendance de fond. Pour les consommateurs, cela correspond à l’attente d’éviter les intrants issus de la chimie de synthèse dans ce qu’ils boivent. Cette dynamique est particulièrement forte chez les amateurs de vin et d’alcool en général, qui adoptent une approche plus qualitative : boire moins, mais mieux. Ce phénomène ne devrait pas s’essouffler dans les années à venir.
« Plus que l’argument environnemental, c’est l’aspect santé, avec l’absence de produits chimiques de synthèse, qui motive aujourd’hui le choix du vin bio. »
Du côté de la vente, quelle stratégie les producteurs de vin bio doivent-ils privilégier ?
– Le vin bio est nettement plus vendu en direct que le vin conventionnel. Pour les vignerons bio, il est donc stratégique de privilégier un accès direct au consommateur, par exemple via les salons ou la vente à la propriété. Accueillir les clients sur le domaine permet de les sensibiliser à la démarche bio, en les emmenant dans les vignes et en leur expliquant comment et pourquoi ils se passent des intrants issus de la chimie de synthèse. Lorsqu’un producteur envisage une conversion au bio, il est essentiel d’anticiper ses choix de distribution pour assurer une cohérence stratégique. La vente en direct et le bio font bon ménage, mais cela implique aussi des investissements en termes de logistique et d’accueil du public.
Comment le marché du vin bio pourrait-il évoluer dans les prochaines années ?
– L’évolution du marché dépend en partie de facteurs extérieurs à la filière bio, comme le contexte économique. À terme, le bio pourrait devenir un choix naturel pour les consommateurs, qui recherchent avant tout des produits dans lesquels il a confiance. Plus que l’argument environnemental, c’est l’aspect santé, avec l’absence de produits chimiques de synthèse, qui motive aujourd’hui le choix du vin bio. Il est donc essentiel d’intégrer cet élément dans la communication autour du vin bio. Cependant, ce message doit être porté par les vignerons eux-mêmes pour être efficace, audible et subtil. Il y a aussi un travail à faire sur la visibilité du vin bio, notamment dans la restauration. Les cartes des vins devraient mieux informer les clients de la présence de vins bio.
