Un entretien avec l’agroclimatologue Serge Zaka
À l’origine du projet AgroClimat2050, Serge Zaka a développé des modèles permettant d’anticiper l’évolution de la répartition géographique des cultures agricoles en tenant compte, dans le temps, des effets du changement climatique.
Le changement climatique, un danger pour la vigne ?
Par rapport à d’autres cultures, la vigne se distingue par sa capacité à résister à la sécheresse et à la canicule ainsi que par un potentiel d’adaptation favorisé par une diversité génétique souvent supérieure. Mais il faut être clair : le changement climatique représente une menace pour l’agriculture telle que nous la connaissons aujourd’hui et cela vaut aussi pour la vigne.
D’ailleurs, les effets sont déjà là : le cycle végétatif est de plus en plus précoce avec une floraison qui intervient environ une semaine plus tôt que dans le passé et des vendanges avancées de dix-huit jours en moyenne.
Ce décalage aux deux bouts du cycle de la vigne n’est pas sans conséquence. Les démarrages extrêmement précoces, comme en 2014 ou en 2021, renforcent en effet les risques d’exposition aux gels printaniers tandis qu’une maturation dans des conditions plus chaudes et plus sèches, avec moins d’eau disponible pour remplir les grappes, entraîne une augmentation du degré d’alcool. Bien sûr, l’impact diffèrera selon la région ou le cépage.
Comment s’adapter ?
Il faut explorer la diversité génétique de la vigne, tant au niveau des cépages que des porte-greffes. Mais la biogéographie de la vigne va évoluer avec un vignoble qui va remonter vers le nord : de nouveaux vignobles vont en effet apparaître dans des régions septentrionales où on n’avait pas l’habitude de cultiver la vigne. Au sud, la vigne ne va pas disparaître mais les besoins d’adaptation seront plus importants : par exemple, des cépages comme le pedro ximénez, le muscat d’Alexandrie, le verdejo ou le palomino deviendront plus courants dans les vignobles du sud de la France.
Mais l’adaptation passera aussi par des efforts pour créer des microclimats à l’échelle parcellaire, en orientant différemment les rangs de vignes ou en installant des effets afin de réduire l’exposition au vent et donc l’évapotranspiration ou en introduisant des arbres et en adaptant la hauteur des vignes afin de contrôler l’ensoleillement et donc limiter la température pour rester sous les seuils de stress lors des épisodes extrêmes. Mais il sera aussi nécessaire de mettre en place des réserves climatiques et des systèmes d’assurances pour se prémunir contre des aléas climatiques de plus en plus fréquents.
L’agriculture biologique est-elle un levier d’adaptation ?
Naturellement, l’évolution du climat affecte la vigne quel que soit le mode de culture. Toutefois, la gestion en agriculture biologique présente des avantages en termes de résilience au niveau de la parcelle, notamment en été pendant la phase de maturation.
En effet, les agriculteurs bio sont souvent plus sensibles à la structure paysagère d’une exploitation car ils ont intérêt à favoriser l’accueil de la faune auxiliaire puisqu’ils n’utilisent pas de pesticides de synthèse : ainsi, ils ont plus tendance à planter des arbres en bordure ou au cœur des parcelles ainsi qu’à préserver les haies ou à les étendre.
De même, ils sont nombreux à s’efforcer à conserver des sols vivants, d’autant qu’ils n’utilisent pas d’intrants chimiques : or, des sols vivants peuvent stocker jusqu’à 10 % d’eau en plus, ce qui leur permet de mieux supporter les épisodes de sécheresse. En cela, oui, une vigne en agriculture biologique est mieux préparée à affronter les conséquences du changement climatique.