Société : « L’agriculture biologique est une agriculture d’intérêt général »

Un entretien avec Laure Verdeau (Agence Bio)
Directrice de l’Agence Bio, Laure Verdeau œuvre à fédérer les acteurs du bio et à sensibiliser citoyens et consommateurs. D’après elle, la France, forte de son statut de premier vignoble bio au monde, doit assumer un rôle moteur dans le développement de la viticulture biologique, levier essentiel pour répondre aux défis environnementaux et sanitaires. Éclairage. 

Où en est la viticulture par rapport aux autres secteurs de l’agriculture biologique ?

– Le vin bio est un des rares segments de l’agriculture française à avoir atteint et même dépassé les objectifs nationaux fixés auprès de Bruxelles : 22 % des surfaces viticoles françaises sont aujourd’hui cultivées en bio pour un objectif de 18 %. Ce résultat fait de la viticulture une filière d’excellence où la France est leader. Pourtant, il manque une véritable fierté autour de cet accomplissement, une “Bio Pride” dans laquelle la France revendiquerait son statut de championne du monde du vin bio. Nous avons tout pour éclairer et mener cette transition. D’autant plus quand on est un pays qui a inventé le restaurant, le savoir-faire gastronomique mais aussi le savoir-boire et le savoir-parler qui lui sont associés !

« En France, nous avons tout pour éclairer et mener cette transition. »

Pourquoi ce manque de mise en lumière ?  

– Pour un vigneron, l’objectif principal reste que ses vins soient appréciés pour leur qualité intrinsèque, pas uniquement pour un label. Beaucoup estiment que le bio n’est pas leur sujet, mais cette démarche concerne tout autant les producteurs que les consommateurs, qui sont aussi citoyens. C’est l’affaire de tous car l’agriculture biologique est une agriculture d’intérêt général.” 

C’est ce qui motive les vignerons à la conversion au bio ? 

– Bien souvent, la conversion en bio naît d’une prise de conscience des vignerons face aux dangers liés aux pesticides de synthèse ou chimiques. Par exemple, le jeune vigneron champenois Maxime Ponson nous a confié qu’il a décidé de convertir son domaine au bio à la naissance de son enfant, lorsqu’on lui a déconseillé de porter son nouveau-né à la maternité s’il avait traité ses vignes avant. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, arrêter les pesticides de synthèse ou chimiques a d’abord été un choix pour sa santé, la sienne mais aussi celle de sa famille et de son équipe.

Et de leurs voisins !   

– En effet, le bio répond également à un enjeu citoyen de cohabitation harmonieuse entre riverains et viticulteurs, une pacification du partage du territoire. Il y a cette envie d’avoir des vignes bio à côté de chez soi, de faire son footing à travers des vignes qui ne sont pas traitées avec des intrants de synthèse. Il reste maintenant à transformer cette volonté en acte d’achat !

Justement, quelle est votre stratégie pour promouvoir le vin bio ?

– Tout d’abord, j’entends souvent parler de “relancer le bio”, mais il est important de noter qu’il n’a jamais vraiment été lancé ! Contrairement à d’autres secteurs, comme les produits laitiers qui bénéficient de campagnes, telle que “Les produits laitiers sont nos amis pour la vie”, les produits bio n’ont jamais eu de stratégie de communication d’envergure. Cela crée un paradoxe, révélateur à l’échelle du vin bio : bien que les cours d’œnologie ou les ateliers de dégustation soient en plein essor, les consommateurs manquent encore d’informations sur le vin bio. Même dans les écoles de sommellerie, les labels sont peu enseignés. De plus, l’expression “vin nature” ou la mention “vin vegan” pour qualifier un vin peuvent prêter à confusion car elles ne garantissent pas que le vin ait été produit sans intrants issus de la chimie de synthèse.

Ce manque d’information deviendrait donc un frein à l’achat ? 

– Dans le vin, le prix n’est pas le principal obstacle à l’achat de produits bio. Ce qui freine, c’est justement la méfiance et la méconnaissance : beaucoup perçoivent le bio comme un argument marketing ou estiment que ce n’est pas un critère pertinent. Un quart des consommateurs ne pensent même pas à acheter bio. Pourtant, le vin est un secteur dans lequel les gens prennent le temps de réfléchir et d’échanger lors de l’achat, notamment chez les cavistes. Le bio est aussi largement représenté dans les circuits de vente directe, comme les domaines. Les producteurs bio sont des milliers d’ambassadeurs potentiels ! Notre mission à l’Agence Bio est donc de mieux faire connaître l’agriculture biologique, d’expliquer son cahier des charges rigoureux qui se joue autant dans les vignes que dans les fûts. On a vraiment besoin de remettre le bio dans la conversation, afin d’embarquer les consommateurs ! Plus on informe, mieux le bio trouvera sa place.

“Save water, drink organic champagne”

Qu’est-ce qui permettrait de dynamiser la transition vers le bio ?  

– Nous espérons que des régions comme le Cognac ou la Champagne prendront le virage du bio. Les signes sont encourageants : des domaines prestigieux comme Romanée-Conti ou Cheval Blanc ont franchi le cap de la certification bio, tout comme des maisons de champagne telles que Lanson, Roederer ou Telmont. Le cas de la Champagne est particulièrement symbolique : la région repose sur des nappes phréatiques cruciales pour l’approvisionnement de Paris en eau. La conversion en bio de la Champagne est donc une question écologique majeure. D’ailleurs, la directrice de l’Agence de l’Eau a résumé la situation avec une phrase choc : “Save water, drink organic champagne”. Le champagne, avec son prestige et son savoir-faire, pourrait devenir un levier de transformation global et incarner l’excellence française à l’international. L’exportation joue aussi un rôle moteur pour le développement du bio. Notamment avec des pays comme les États-Unis ou le Canada, qui ont une plus grande sensibilité pour le bio. Dans les appels d’offre, le bio est devenu un critère !

Comment mobiliser les acteurs de la filière viticole autour du vin bio ?

– Ce qu’on veut, c’est qu’un maximum de régions, d’appellations et d’interprofessions rejoignent notre mouvement initié avec le #BioRéflexe, soutenu par le ministère de l’Agriculture. Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux a d’ailleurs suivi cette initiative avec plusieurs visuels impactants consacrés au vin bio dans sa dernière grande campagne. L’idée est de fédérer tous les acteurs autour d’une même identité, d’une façon commune d’arborer les atouts du bio, comme un maillot unique pour porter haut les couleurs du bio !

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