R&D : « En viticulture bio, il y a une forte volonté d’innover, bien plus qu’en conventionnel »

Un entretien avec Natacha Sautereau (ITAB)
Natacha Sautereau est coordinatrice du Pôle Durabilité et Transition de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (ITAB). À l’interface entre recherche et développement, son rôle consiste à piloter des projets visant à évaluer la durabilité des systèmes agricoles et à encourager la diffusion des connaissances scientifiques ainsi que leur appropriation par les acteurs de terrain.  

Quel rôle joue l’ITAB dans le développement de la viticulture bio ? 

– L’ITAB est doublement qualifié par le ministère de l’Agriculture en tant qu’institut technique agricole et en tant qu’institut technique agro-industriel. L’ITAB agit comme un maillon entre la recherche académique et les acteurs de terrain. Notre mission, à visée transformative, est d’accompagner la transition agro-écologique. Au Pôle Durabilité-Transition, nous évaluons la durabilité des pratiques et des systèmes agricoles et nous contribuons à produire des connaissances sur les facteurs favorables à la transition. En viticulture, nous avons mené un projet Casdar, BasIC[1](Bas Intrant Cuivre), piloté par la FNAB et financé par le plan Ecophyto, visant à réduire l’usage du cuivre tout en mesurant la réalité de son impact sur la biodiversité du sol en tenant compte des spécificités des terroirs. Par exemple, l’humidité sur la façade océanique nécessite des traitements au cuivre pour prévenir le mildiou ; la situation est différente en Provence où le mistral agit comme un allié naturel. 

« L’agriculture biologique, c’est l’art de faire au maximum avec les ressources dont on dispose. »

Dans quelle mesure bio et innovation sont liés ?  

– La transition vers la bio oblige à repenser ses pratiques agricoles, car il s’agit de supprimer tous les intrants de synthèse ! C’est une prise de risque qui implique d’explorer d’autres voies ! Passer du désherbage chimique au désherbage mécanique, gérer les maladies de la vigne sans pesticides de synthèse nécessitent de trouver d’autres leviers et de les conjuguer. L’agriculture biologique, prototype d’agro-écologie, repose sur une gestion adaptative et créative, utilisant des combinaisons de leviers adaptés aux contextes pédo-climatiques. Certains viticulteurs optent pour des pratiques comme l’introduction d’animaux ou l’agroforesterie viticole en ombrage naturel pour composer avec les ressources disponibles et les contraintes de chaque terroir. À mon sens, mettre en œuvre l’agriculture biologique, c’est l’art de faire au maximum avec les ressources dont on dispose. Que ce soit via l’agroforesterie, la biodynamie ou des associations de cultures (comme planter des herbes aromatiques émettant des composés volatils entre les rangs de vignes), les viticulteurs bio explorent des solutions innovantes. Le projet Casdar Vitinnobio, piloté par l’IFV, illustre justement cette démarche : il a répertorié et diffusé des pratiques innovantes de terrain, chez les vignerons bio, comme des techniques de taille ou d’introduction d’engrais verts[2].” 

Comment les viticulteurs s’approprient-ils les apports de la recherche ? 

– Pour tous les projets menés par l’ITAB, nous cherchons à générer des connaissances facilement appropriables. Nos travaux ne restent pas dans des rapports : ils deviennent des outils concrets à visée transformative pour les agriculteurs, les conseillers agricoles et les groupements professionnels. Guides, fiches techniques, webinaires, prestations et formations permettent d’accompagner la transformation et l’optimisation des pratiques sur le terrain. 

Transformer les systèmes pour générer des externalités positives ? 

– L’ITAB a conduit une vaste synthèse scientifique rassemblant quelque 800 articles scientifiques, pour objectiver les bénéfices de l’agriculture biologique sur la préservation des sols, l’amélioration de la biodiversité, la réduction des impacts climatiques et les la santé humaine (lire notre article “Comprendre les externalités positives de l’agriculture biologique”). Cette expertise est précieuse pour orienter les politiques publiques, mais aussi pour accompagner les acteurs économiques ou les ONG en explicitant les atouts environnementaux et sociaux de l’agriculture biologique. 

Alors, quels freins subsistent à la conversion bio ? 

– Après une période d’euphorie et d’essor jusqu’en 2020, le développement du bio accuse un ralentissement. L’ITAB a mené une enquête dans le cadre du programme européen Organic Targets for Europe, qui vise à établir la stratégie « Farm to fork », identifiant les déterminants de la conversion, mais aussi les freins. Les résultats montrent que, malgré une forte motivation pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité, certains viticulteurs peuvent redouter une baisse de rendement ainsi qu’une maîtrise moins efficace des maladies de la vigne et du temps de travail supplémentaire. Ces préoccupations, souvent d’ordre économique, peuvent freiner les volontés. 

« L’agriculture biologique ne peut reposer uniquement sur l’acceptation des consommateurs à payer un prix supérieur. »

Quelles solutions recommandez-vous pour lever ces freins ? 

– Le soutien économique est essentiel. L’agriculture biologique ne peut reposer uniquement sur l’acceptation des consommateurs à payer un prix supérieur. Il incombe aux pouvoirs publics de reconnaître les externalités positives de l’agriculture biologique et de la soutenir avec des mécanismes de rémunération comme les aides pour services environnementaux (PSE). C’est notamment ce que pratiquent déjà les agences de l’eau qui complémentent les aides à la conversion – sachant que les aides au maintien ont été supprimées – sur les aires de captage avec des montant plus incitatifs. Une récente étude d’Eau de Paris a pointé que les actions de prévention (subventionner les pratiques vertueuses, accompagner le développement de la bio) coûtent trois fois moins cher que de traiter l’eau pour la potabiliser. La question s’est aussi posée de la mise en place d’une TVA différenciée pour les produits bio par rapport aux produits conventionnels, mais certains considèrent que ça pourrait servir davantage aux intermédiaires qu’aux agriculteurs. 

Comment guider et sensibiliser davantage les consommateurs ? 

– L’ITAB et ses partenaires ont initié Planet-Score, un affichage conçu pour mieux refléter les différents impacts environnementaux à la fois en inter-catégories (entre produits) mais également en intra-catégorie (selon les modes de production). La base de données Agribalyse, qui utilise une méthode normalisée d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) pour quantifier les impacts des produits agricoles et alimentaires, présentait certaines limites. En l’absence d’indicateurs spécifiques sur des dimensions comme la biodiversité à la parcelle ou l’écotoxicité terrestre et marine, et en raison de son approche basée sur les impacts rapportés au kilogramme ou au litre produit, elle peut encourager l’intensification des productions. En effet, des rendements élevés permettent de « diluer » les impacts environnementaux. Dans le secteur viticole, par exemple, le poids de la bouteille est reconnu comme premier facteur de l’impact climatique, ce qui pousse à concevoir des bouteilles plus légères. Cependant, si cette innovation est pertinente, un score environnemental global doit aussi prendre en compte, de manière exhaustive, des enjeux tels que l’utilisation de pesticides de synthèse pour refléter fidèlement les multiples dimensions de l’impact environnemental. Des questions méthodologiques complexes se posent mais aussi des questions politiques concernant les poids à accorder aux différents dimensions environnementales (climat, écotoxicité et toxicité santé humaine par exemple). Le ministère de la Transition écologique s’est notamment appuyé sur nos travaux pour concevoir l’outil “Écobalyse” qui complète les données Agribalyse à la fois par des indicateurs hors ACV et fait évoluer les pondérations pour mieux refléter les atouts des systèmes agro-écologiques qui minimisent, voire suppriment, les recours aux pesticides de synthèse à l’image de l’agriculture biologique. Ce futur affichage a vocation à devenir un indicateur du coût environnemental sur tous les produits alimentaires, comme le Nutriscore pour le volet nutritionnel.  

Références :

[1] https://www.produire-bio.fr/articles-pratiques/projet-basic-viticulture-et-raisins-de-table-biologiques-a-bas-intrants-cuivre/ 

[2] https://www.vignevin.com/wp-content/uploads/2018/12/vitinnobio_15fiches_ifv.pdf 

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