« Je ne regrette absolument pas notre passage au bio !  »

On ne nait pas vigneron bio, on le devient. C’est une histoire de détermination, de remise en question et surtout de travail. Renoncer aux traitements chimiques de synthèse exige en effet de repenser en profondeur ses méthodes culturales. Récit d’une conversion avec Géraud Arbeau, à la tête des Vignobles Arbeau, dans le Sud-Ouest.

Quelle est l’histoire du domaine avant sa conversion au bio ? 

Notre domaine familial, le Château Coutinel, a été exploité initialement par mes arrière-grands-parents. À l’époque de mes aïeux, la viticulture était intensive, centrée sur la recherche du rendement. L’objectif principal était de produire en grande quantité pour alimenter le marché. La qualité passait souvent au second plan, car tout se vendait facilement. La reconnaissance de l’appellation Fronton en 1975 a marqué une première évolution avec la mise en place d’un cahier des charges limitant les rendements et tirant la production vers le haut. Dans les années 1980, notre famille a investi dans la modernisation de nos installations avec des cuves de vinification régulées par le froid : la qualité était devenue une priorité. Puis, dans les années 2000, nous avons été parmi les premiers à construire un bassin de traitement des eaux usées, une initiative que mon grand-père avait du mal à comprendre car elle ne contribuait pas directement à la production.

Comment la conversion au bio s’est-elle enclenchée ? 

J’ai pris la gérance du domaine il y a une vingtaine d’années. Ma sœur, Anne, qui s’occupe de la partie commerciale, estimait qu’il fallait prendre le virage du bio pour assurer nos débouchés et nous démarquer. Par curiosité, je suis allé visiter un domaine voisin, le Château Boujac, qui travaillait en bio. À la dégustation, ce fut une claque ! J’ai immédiatement demandé au vigneron, Philippe, ses secrets de vinification pour obtenir un tel relief dans le vin.

Sa réponse m’a marqué : « Ce n’est pas la vinification, m’a-t-il dit. C’est le sol qui respire et qui donne de la vie ! » Cela m’a semblé évident : il fallait creuser du côté de la viticulture bio. 

Par quoi avez-vous commencé ? 

Nous avons d’abord entrepris des démarches de certification HVE qui nous ont permis de préparer notre transition vers l’agriculture biologique bien avant de lancer officiellement le processus de conversion en décembre 2017. Nous avons transformé nos façons de penser et de travailler. Auparavant, nous appliquions les doses maximales de traitements afin de générer le plus possible de volumes. Avec l’abandon des traitements chimiques, j’ai dû ressortir les anciens outils de mon grand-père pour décavailloner, épamprer, labourer, planter des couverts végétaux, désherber… Pour entretenir les 50 hectares de vignes, nous avons dû investir dans une mécanisation complète, en achetant un nouveau tracteur et du matériel plus moderne. Parallèlement, nous avons mis en place la confusion sexuelle, une méthode de lutte naturelle biotechnique contre les tordeuses de la grappe, en diffusant des phéromones. 

Certaines adaptations sont-elles déterminées par les caractéristiques du vignoble ?  

Effectivement, le cépage typique de notre terroir de Fronton (Haute-Garonne), la négrette, a la particularité de produire de petites grappes, serrées et compactes, ce qui le rend très sensible au mildiou et au botrytis. Dès la première année, nous avons été confrontés à ces deux problèmes. Depuis l’arrêt des traitements chimiques, il est indispensable de tester et d’adapter chaque année de nouvelles méthodes pour faire face aux problématiques de la culture sans produits de synthèse tout en limitant l’utilisation d’auxiliaires comme le cuivre. Par exemple, si les couverts végétaux favorisent la vie organique du sol, j’ai constaté, dans le cas de nos terroirs, qu’il est nécessaire de limiter l’enherbement entre les pieds de vignes, les interceps, afin de réduire l’humidité. C’est un véritable défi annuel, et nous en sommes déjà à notre cinquième machine testée pour accomplir ce travail minutieux de manière optimale ! 

C’est donc un travail permanent d’adaptation ?   

En effet, selon les conditions particulières d’un millésime, qu’il s’agisse de gel, de sécheresse ou de fortes précipitations, nous devons ajuster nos pratiques culturales en conséquence. Par exemple, il faut trouver le bon équilibre en effeuillant suffisamment pour que le raisin profite de l’exposition au soleil nécessaire à sa maturation, sans toutefois le priver de la protection offerte par le feuillage contre le soleil. C’est donc une gestion assez fine de l’appareil végétal, nécessitant une remise en question permanente.

Comment s’est déroulée la conversion ?  

Nous avons entamé les démarches de certification bio en décembre 2017, entamant ainsi une conversion légale de trois ans durant laquelle nous devions respecter strictement le cahier des charges de l’agriculture biologique. Les débuts ont été difficiles : davantage de main-d’œuvre nécessaire, plus d’heures passées dans les vignes, un surcroît de travail administratif et une valorisation limitée, car il nous était impossible d’écrire « bio » sur les bouteilles des deux premiers millésimes. Heureusement, dès la deuxième année, nous avons pu indiquer la mention « Conversion à l’agriculture biologique » (CAB) sur nos cuvées. Le soutien et la compréhension des pouvoirs publics et de la Région Occitanie pour l’aide à la conversion et au maintien ont été essentiels. 

Avez-vous vu vos vignes évoluer ? 

La vigne réagit à la vitesse de la nature, pas comme les hommes, toujours trop pressés ! C’est frustrant au début car les premiers résultats tardent à apparaître. Je repense souvent aux vins bio du Château Boujac qui m’avaient impressionnés par leur profondeur et j’ai commencé à retrouver cette qualité dans mes vins à partir du millésime 2021. Avant, notre sol était lessivé, sans vie. Mais un récent carottage a révélé la présence de vers de terre, de fourmis, de lézards ! L’eau s’infiltre mieux, les racines descendent plus profondément, contribuant à l’aération du sol et à une érosion géologique normale.

Avec ce système racinaire plus développé, je pense que la vigne sera mieux adaptée et plus résiliente dans les conditions climatiques du futur. C’est une grande satisfaction, comme si la nature nous rendait toute l’attention que nous lui portons désormais. 

Et si c’était à refaire ? 

Je ne regrette absolument pas notre passage au bio ! Bien que cela demande du travail supplémentaire, j’ai découvert le plaisir de bien faire les choses et de démontrer notre capacité à nous réinventer chaque année sur le plan technique. Il y a une véritable satisfaction humaine, enrichie par le travail d’équipe et la collaboration stimulante avec ma sœur, Anne, qui a toujours été un moteur pour les débouchés commerciaux grâce à sa connaissance du marché. Il y a aussi ce que j’appellerais une « satisfaction terrienne ». 

Que représente pour vous cette « satisfaction terrienne » ? 

En 2024, le jour du dépassement est survenu le 1er août, marquant le moment où l’humanité a épuisé les ressources que la planète peut régénérer en un an. Cette information me touche profondément, car elle souligne que nous vivons en quelque sorte sur le fil du rasoir. Adopter le bio ne doit pas être une démarche opportuniste ; il faut le faire par conviction profonde. À travers cette transition, je cherche à sensibiliser au respect de notre terroir, qui nous offre tant et auquel nous devons également donner en retour. De nombreux vignerons voisins sont venus me voir, et j’espère que si nous réussissons à subsister de cette manière, cela encouragera d’autres à suivre notre exemple. Mais il est crucial que les consommateurs prennent conscience de l’importance de choisir des produits issus de modes de production respectueux de l’environnement. Sentez-vous concernés ! 

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